lundi, avril 24, 2006

Et si l’esclavage m’était conté


Entretien avec Tchatcha VII depuis Ouidah

Remonter dans le temps pour comprendre les manifestations du commerce triangulaire est un facteur de synergie pour identifier les acteurs ayant rendu célèbre dans le passé, le Port de Ouidah sur le Golfe du Bénin. A ce propos, Mito Honoré Féliciano de Souza, Tchatcha VII, Chef de la collectivité de Souza du Bénin et du Togo, apporte sa partition dans la présente œuvre de mémoire à valeur de forum.

Il offre aux cybernautes de ‘’Les Valeurs Ouest africaines’’, sa traduction de l’expérience de son ancêtre au XVIIIème siècle, Don Félix Francisco de Souza ayant pour nom de souverain Tchatcha 1er, au titre de vice Roi du Danhomé est connu pour son dynamisme dans le développement du commerce triangulaire.

Traitement humain des prisonniers de guerre
«Erigé au rang de second personnage du Royaume du Danhomé, Don Félix Francisco de Souza dit Tchatcha s’établit à Ouidah. Dans le cadre de ses fonctions, il recommanda à son ami Guézo, Roi du Danhomé l’idée d’un traitement humain des prisonniers de guerre autrefois décapités. Il s’agit de les mettre en esclavage, une activité tristement florissante de l’époque. Ainsi les captifs ramenés des différentes guerres ou razzia échappent à la mort. Vendus aux négriers et acheminés vers le Nouveau monde, ils servirent à produire le café et le sucre dans les plantations de leurs maîtres.

Bien entendu, cette mesure dont il fut l’initiateur, l’autorisa à disposer des meilleurs atouts pour réaliser les transactions d’esclaves. Aussi, le port de Ouidah améliora-t-il son dispositif à soutenir l’accroissement du trafic.

Pour les uns, Tchatcha est perçu comme un médiateur bienveillant entre le peuple et son Roi. Pour les autres, le Vice-roi est un généreux libérateur des prisonniers de guerre La collectivité de Souza jouit pleinement des délices de cette réputation que le temps n’a pu altérer. Dès lors, ses descendants vivent de génération en génération, en parfaite harmonie avec ceux des esclaves retenus à Ouidah, après l’abolition de l’esclavage. Aucune situation déplorable n’a été signalée. Les populations vivent en harmonie dans la belle et vieille cité de Kpassè. C’est heureux de citer en exemple Chantal de Souza, la Première Dame du Bénin et épouse de Thomas Boni Yayi, Président de la République.

L’innocence comme atout majeur
Don Félix Francisco de Souza fut abusivement prisonnier du Roi Adandozan, De cette épreuve émerge sa résolution de protéger les personnes dont la liberté est confisquée pour raison de guerre.
En effet, Tchatcha est arrivé du Brésil à Ouidah à l’âge de 34 ans pour travailler au Fort Portugais au titre de Commandant. Après sa démission, il s’est installé à Badagry au Nigéria et créa des comptoirs commerciaux avec le Brésil où il retourna Il revint à nouveau s’établir à Anécho au Togo. Ses relations d’affaires avec le Roi Adandozan lui ont valu le harcèlement. Il fut arbitrairement prisonnier de celui-ci alors qu’il tentait de recouvrer ses créances. Convaincu de son innocence, Gankpé, demi frère du Roi a facilité son évasion de la prison. Réfugié à Anécho, via Savalou et Atakpamé, il aida en retour de l’ascenseur, son libérateur à renverser du trône le souverain persécuteur. ²Gankpé devient alors Roi Guézo du Danhomé et Tchatcha 1er , le Vice Roi.

Facteur de synergie
Pour l’équilibre de notre monde en proie à l’égoïsme et à la violence, le rapprochement entre les peuples est un facteur de synergie. A ce propos, tous les descendants de Don Félix Francisco de Souza se joignent à moi pour dire publiquement pardon aux victimes de cette tragédie et à leurs ayants droits. Il est plus juste de reconnaître cette activité comme un crime contre l’humanité. Si telle est l’implication de la famille de Souza dans le commerce des esclaves qui donne lieu à diverses manifestations culturelles de souvenirs Tels le Panafest au Ghana, le Festival Ouidah 92 et Festival Gospel et racines au Bénin; c’est plutôt notre devoir d’accompagner cette dynamique

Nouvelles passerelles de solidarité
L’intention de permettre à des descendants d’esclaves vivant hors du continent africain de retourner à leur origine, sur la terre de leurs ancêtres, notamment à Ouidah, est louable. Par cette ouverture au dialogue, nous créons des passerelles de fraternité, utiles à l’enracinement de notre vocation historique à coopérer, à partager et à accueillir. Notre devoir est d’atténuer les douleurs et les frustrations émergeant du souvenir de l’esclavage comme une origine du sous-développement et de la misère des peuples africains.
A cet effet, nous, Tchatcha VIII, septième successeur de Don Félix Francisco de Souza, établissons avec les milieux politiques et culturels du Brésil, terre natal du Vice roi du Danhomé notre ancêtre commun, des initiatives de synergie afin d’ériger un pont durable et fraternel et d’échanges entre les communautés brésiliennes et béninoises.
Réciproquement, les officiels brésiliens viennent à Ouidah en visite officielle d’amitié et de travail. Ils ont pris acte de l’existence de la collectivité de Souza au Bénin et au Togo, de son organisation et de ses activités. Nous sommes constamment conviés au Carnaval de Rio. La réalité des charges jugées très onéreuses pour rendre effective la participation de notre délégation est une raison de notre absence au Carnaval. Ces occasions permettent aux différentes composantes de la collectivité de Souza, du Bénin et du Togo de se rappeler de leur racine et de vivre harmonieusement leurs valeurs culturelles d’origine. La redynamisation de la musique brésilienne ‘’bourian’’ est une expression de notre volonté.
De même, en visite officielle au Bénin, le Président Inacio Lula da Silva en foulant le sol de Ouidah au mois de février dernier, a rappelé : « les hommes et les femmes du continent africain sont exportés vers l’Amérique en qualité d’esclave pour aller travailler dans les plantations Ainsi, grâce à leurs souffrances et à leur travail, ils sont arrivés à construire ce pays … il n’est plus question de se souvenir encore de ce passé douloureux mais de penser à l’avenir »

Notre charge au quotidien
Depuis notre accession en 1995 au trône du 7ème successeur de Tchatcha 1er, nous nous déployons dans les projets favorables à l’émergence de l’unité et de la paix entre les différentes composantes des descendants de Tchatcha vivant au Bénin et au Togo. Cette vision se traduit par la mise en œuvre de diverses actions de rassemblement, notamment : offrir à chacun un gîte dans la maison de notre précurseur. Aussi, explorons–nous les possibilités de réaliser ensemble l’entretien et la sauvegarde de notre héritage dont les reliques révèlent le talent des artisans du 19ème siècle.

Enfin, participer au retour des descendants d’esclaves vers leur terre d’origine, est un chantier porteur d’espoir pour le développement économique et culturel de l’Afrique et du Bénin »