mardi, avril 04, 2006

L’avancement au mérite

Controverse sur une vision à combattre

Depuis environ quarante deux ans, l’Etat béninois est confronté à un dilemme presque permanent. Les recettes du budget national ne suffisent pas à assurer le paiement intégral des salaires et accessoires des travailleurs de la fonction publique dont l’effectif ne suffit guère à satisfaire les besoins en ressources humaines du service public.

Il apparaît que le problème ne serait pas pour autant résolu si l’Etat prenait la décision absurde de renoncer aux dépenses de souveraineté et à celles des programmes d’investissement public (PIP). Aussi, ce casse-tête dure-t-il depuis 1963, quels que soient les gouvernements et les régimes politiques qui se sont succédé dans notre pays.

Historique
Aux grands maux, les grands remèdes, dit-on souvent. Au Bénin, les remèdes de cheval auxquels les gouvernements successifs ont eu recours sont les suivants :

1. Dès 1963 l’abattement de 5 %, puis 25 % en 1968 sur les salaires des travailleurs qui sont administrativement avancés et promus conformément aux dispositions du statut général des agents de la fonction publique. Certes, durant les années de gloire de l’ancien régime du Parti de la révolution populaire du Bénin, favorisé par le boom pétrolier des années 70 à 80 et par la prospérité conjoncturelle de notre grand voisin le Nigeria, la croissance économique a permis au gouvernement d’inspiration marxiste-léniniste de lever la mesure d’abattement de 25 % sur les salaires à partir de 1974. Mais très vite la gabegie des ressources financières de la nation et des sociétés d’Etat, la corruption, les détournements des biens publics, la faillite des banques nationalisées, etc. ont eu raison de cette euphorie de la « société où il fera bon vivre pour chacun et pour tous ». Qu’il nous souvienne que dès 1986, cette situation a contraint l’Etat béninois en cessation de paiement à se rendre aux cabinets des ‘’Médecins’’ de Bretton Woods, le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale qui, depuis douze ans recommandent à notre pays à économie malade, des traitements de choc, appelés programmes d’ajustement structurel très contestés par les travailleurs, mais en réalité incontournables et ‘’perdurables’’. N’en déplaise aux centrales syndicales. Malgré sit-in, marches de protestation, grèves, depuis 1986 les gouvernements successifs appliquent entre autres les ‘’conditionnalité’’ salariales des programmes d’ajustement structurel (PAS).
2. De 1986 à 1994, la suspension du recrutement des agents dans la fonction publique et du paiement de l’indemnité de résidence ou l’abattement de 10 % sur le salaire de base déjà insuffisant.
3. De 1988 à 1993, l’incitation à l’aventure du départ volontaire de la fonction publique dont plusieurs milliers d’agents ont adhéré au principe d’obtention de primes pour se retrouver pour la plupart plus démunis que jamais.
4. En 1993, le départ forcé dit ‘’ciblé’’ d’environ deux mille agents de la Fonction publique. Il en est résulté un dégraissage de la Fonction publique dont l’effectif est passé d’environ 49 000 agents en 1986 à 31 500 agents en 1997. Ce qui, selon les prévisions optimistes, devrait permettre à l’Etat béninois d’assurer une meilleure rémunération à ses travailleurs encore en activité.
Loin s’en faut, puisque force a été de constater que les ‘’conditionnalités’’ salariales précitées et proposées par les institutions de Bretton Woods, ne sont pas une panacée étant donné qu’en 1998 les salaires sont payés avec un retard de quatre échelons, c’est-à-dire à l’indice réel de 2000, soit un moins perçu sur salaire de six ans de services effectifs représentant 30 % en moyenne d’abattement.

Le Système d’avancement en vigueur
Le système en vigueur fixé par les articles 56 à 64 de la Loi n° 86-013 du 26 février 1986 portant statut général des agents permanents de l’Etat organisent les avancements comme ci-après :
1. L’avancement d’échelon ou évolution de la carrière à la verticale à l’intérieur d’un grade donné, est automatique pour les agents titularisés et a lieu tous les deux ans.

2. L’avancement de grade ou promotion ou encore l’évolution de la carrière à l’horizontale se fait au choix et à l’ancienneté par une commission paritaire nationale. il est établi tous les ans un tableau d’avancement sur lequel sont inscrits par ordre de mérite les agents proposables sur la base des notes et appréciations qui leur sont attribuées par leur chef hiérarchique respectif au cours des trois dernières années précédant l’année de promotion. Dans le souci de contenir la masse salariale l’article 9 du statut général susmentionné fixe par pourcentage les nombres maxima des candidats à promouvoir dans chacun des quatre grades des corps des personnels de la Fonction publique, soient : 40 % pour le grade initial à quatre échelons automatiques, 30 % pour le grade intermédiaire à trois échelons automatiques, 20 % pour le grade de la classe normale à trois échelons automatiques du grade terminal, 10 % pour la classe exceptionnelle à échelon unique du grade terminal et enfin sans pourcentage pour le grade hors classe à échelon unique. C’est le système de péréquation au terme duquel les agents particulièrement méritants atteignent le grade le plus élevé, hors classe, après vingt deux ans de services effectifs tandis que les agents les moins méritants ‘’péréqués’’ pendant deux années au passage de chacun des grades, l’atteignent eux aussi bon an, mal an, au bout de vingt huit années de services effectifs.


La controverse
Eu égard aux explications qui précèdent, les centrales syndicales et bien sûr la majorité des travailleurs soutiennent que le système actuel d’avancement d’échelon automatique couplé avec un avancement de grade régulé par la péréquation est autant valable et efficace que l’avancement au mérite. Alors, l’on devrait comprendre la controverse actuelle sur l’efficacité de la panacée que serait l’avancement au mérite.
L’embarras des gouvernements est qu’avec le système en vigueur tous les fonctionnaires y compris les moins méritant atteignent au plus tard, après vingt huit ans de services effectifs, le grade le plus élevé de leur corps avec toutes les contraintes budgétaires que cela comporte comme dépenses obligatoires votées que sont les masses salariales en constante augmentation.

Le gouvernement croit pouvoir désormais ‘’geler’’ ou tout au moins contenir cet accroissement ‘’pathologique’’ des dépenses salariales par le système d’avancement au mérite dont les tenants et les aboutissants sont encore très controversés.

A tort ou à raison, les travailleurs les plus sceptiques qualifient le système d’avancement au mérite de blocage de salaire qui ne dit pas son nom et qui pénalisera la majorité des agents de la Fonction publique béninoise. Le gouvernement s’en défend et rappelle qu’il faut commencer un jour ou l’autre à mettre en œuvre le plan de la réforme et de la modernisation de l’administration publique béninoise, conçu et arrêté par les Etats généraux de la Fonction publique et de la modernisation de l’administration, tenus du 12 au 16 décembre 1994.

Le gouvernement soutient qu’il est urgent et impérieux d’appliquer le point 8 (alinéas 4 et 5) du plan précité, qui ‘’recommande la valorisation des ressources humaines et le renforcement des capacités nationales de gestion par l’instauration d’une politique conséquente de suivi, de contrôle et de rémunération de la fonction publique, et d’un système d’avancement et de promotion dans la fonction publique fondée sur le mérite et la productivité. ‘’

Il en est résulté un projet de loi introduit par le gouvernement et relatif à l’avancement au mérite. Par rapport à la loi n° 86-013 du 26 février 1986 actuellement en vigueur, les innovations dudit projet de loi sont : la suppression de la catégorie E dont les emplois seront désormais exécutés par contrat, la réduction du nombre des grades de quatre à trois, l’instauration du mode de recrutement sur poste, la remise en cause de la confidentialité de la notation à laquelle l’agent sera désormais associé à travers la fixation d’objectifs préalablement définis avec lui.

Les débats à l’Assemblée nationale sur ledit projet de loi ont révélé d’une part, un consensus entre le gouvernement et le parlement pour l’adoption des innovations susmentionnées, et d’autre part, une vive controverse sur la réforme de la carrière et de la rémunération des agents de la fonction publique. Au terme de cette réforme, l’avancement d’échelon restera automatique et garanti par un système de progression automatique de la solde de base de tous les agents à l’ancienneté. Il sera doublé d’un système sanctionnant le résultat de l’appréciation des performances sous la forme d’une prime de performance.

La pomme de discorde est la suppression de l’automaticité de l’ancien système d’avancement de grade (ou promotion) après un maximum de deux années de péréquation. Désormais, la promotion ou le grade s’obtiendra à la fois par la justification de l’ancienneté et par celle de l’acquisition de nouvelles compétences. Autrement dit, les agents de la fonction publique seront désormais promus ou plus précisément avancés au mérite, après l’évaluation de leurs compétences nouvelles et de leurs performances, basée sur une méthode de gestion par objectifs assignés à chaque entité de l’Etat.

Surtout, ils le seront au prorata des disponibilités financières de l’Etat. Le nouveau système d’avancement de grade baptisé ‘’avancement au mérite’’, en remplacement de l’ancien système à péréquation maximale de deux années, sera-t-il à durée déterminée ou indéterminée ?
Les centrales syndicales ont amendé l’article n° 58 dudit projet de loi dans le sens de la fixation d’une durée maximale de huit ans.

Face à la ‘’conditionnalité’’ de l’avancement au mérite à durée indéterminée et relative au troisième programme d’ajustement structurel indispensable au financement de nos futurs programmes d’investissement public, le gouvernement actuel semble peu préoccupé par les préalables et le caractère élitiste dudit système d’avancement. Des interventions des ministres interpellés par le parlement, il ressort que le gouvernement cherche plutôt à obtenir à tout prix l’adhésion des travailleurs sous la forme de protocole d’accord avec les centrales syndicales.

Du reste, le sort des travailleurs dépendra des amendements que nos honorables députés porteront aux articles 9, 58 et 69 de ce projet de loi.
En effet, avec la loi votée par l’Assemblée nationale le mardi 15 septembre 1998 par 46 voix pour 36 contre et zéro abstention le système d’avancement au mérite n’accorderait ‘’d’avancement de grade’’ qu’à une minorité d’agents très méritants et performants dans l’exécution des objectifs fixés.

A la limite, notre fonction publique serait à l’instar de ‘’l’ordre national des décorés’’, un nouvel ‘’ordre national des fonctionnaires excellents au mérite.’’ C’est certainement un idéal noble de récompense aux agents qui satisferont aux obligations de résultats. Mais cette solution est-elle la panacée pour résoudre le problème de l’insuffisance ‘’perdurable’’ des ressources financières du budget national qu’on est tenté de considérer comme une fatalité qui frappe notre cher et riche pays, le Bénin à Etat paradoxalement pauvre ? L’expérimentation de ce nouveau système nous permettra d’en savoir plus.

A suivre